L'Autre Sommeil by Green

Auteur:Green
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fayard

Quatre ou cinq jours plus tard, j'ôtai des mains de ma mère qui allait l'ouvrir une lettre tournée à peu près comme il suit :

« Vous êtes sans doute la dernière personne à qui je devrais demander conseil. Trouvez-vous cependant, demain, vers cinq heures, à la grille du Luxembourg qui fait face à la rue de Fleurus. — A. »

Elle ajoutait en post-scriptum : « Croyez bien que j'ai hésité à vous écrire. »

Cette lettre était une prière et voulait être un ordre. L'écriture m'en parut vaniteuse et le ton impertinent, mais elle raviva en moi un tourment qui sans cela se serait apaisé peu à peu. Je pensais que la souffrance dût s'user, se consumer d'elle-même jusqu'à la cendre, et le pouvoir de ces quelques lignes me surprit comme une révélation sur mon propre cœur.

Ma première pensée fut une sottise inexplicable : aller trouver Remy et lui montrer cette lettre. Depuis le jour où il m'avait mené chez lui avec Andrée, je me tenais éloigné du lycée et nous ne nous étions pas revus. Et voici que brusquement je ne lui en voulais plus. Ma rancune tombait sans motif raisonnable. Seul le souvenir de ses cruautés m'empêcha de céder au mouvement qui me poussait vers lui. J'imaginai quel sourire viendrait retrousser sa lèvre, quel pli se formerait au coin de ses paupières en lisant ce billet. Il se moquerait de moi et d'elle. Ou bien, sur son visage avide et féroce se répandrait cet air sérieux qu'il avait lorsqu'il me barrait la porte et que sa colère m'enveloppait comme la chaleur d'un feu. Je me jugeai fou de songer à lui; c'était vers elle qu'il fallait courir.

Ma mine blême arracha un cri à ma mère qui me crut malade. A ce moment, elle me parut si loin de moi que je m'étonnai qu'elle ne fût pas morte. Ses questions n'avaient plus de sens. A qui parlait-elle ? Pourquoi me secouait-elle par le bras ? Je l'écartai et me sauvai nu-tête dans la rue.

Il n'y avait qu'une centaine de mètres de chez nous à l'appartement d'Andrée. Je les parcourus dans un état difficile à décrire, parce que je ne savais plus si je devais être heureux ou malheureux. Parfois il me semblait que je me replongeais dans une sorte de songe de douleur, puis mon cœur s'allégeait tout à coup; je ne mettais alors aucune limite à mon espoir.

On m'apprit chez Andrée qu'elle était sortie. Sans doute mon air hagard inspira-t-il cette réponse. Je réfléchis ensuite que j'avais été bien sot et bien imprudent de monter et qu'Andrée m'en voudrait à coup sûr. De toute manière, je résolus d'attendre la jeune fille dans la rue, à la terrasse d'un café d'où je pouvais surveiller l'entrée de la maison.

Les trois quarts d'heure qui s'écoulèrent ensuite me vieillirent plus, je crois, qu'une année entière n'aurait pu le faire. Ces longues minutes me donnèrent la mesure de ma faiblesse. J'étais devant la souffrance comme une barque insuffisamment gréée dans une tempête. Rien en

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